
La récente vague de fermetures de points de vente de restauration de rue par l’AGASA à Libreville est bien plus qu’une simple opération de police sanitaire. Elle est le symptôme d’une réalité complexe qui place deux impératifs face à face.
À la nécessité de protéger la santé publique, s’oppose le rôle vital d’un secteur informel qui fait vivre une large partie de la population.
Un amortisseur social indispensable
Avant d’être un risque sanitaire, la restauration de rue est avant tout un pilier de l’économie urbaine.
Pour des milliers de Gabonais, souvent des femmes, vendre des brochettes, des beignets ou des plats cuisinés est la principale, sinon l’unique, source de revenus.
Ce micro-entrepreneuriat de subsistance constitue un puissant amortisseur social dans un contexte de chômage élevé et de précarité.
Il permet non seulement de générer des revenus pour les vendeurs, mais aussi de structurer toute une chaîne d’approvisionnement informelle (maraîchers, bouchers, transporteurs).

Pour les consommateurs, majoritairement des travailleurs à faibles revenus, des étudiants ou des artisans, cette offre alimentaire est essentielle.
Accessible, rapide et abordable, elle répond à un besoin que le secteur formel peine à satisfaire.
Les nikeurs ou les cafete » du coin de la rue sont des maillons fondamentaux de la vie économique et sociale des quartiers.

Une bombe sanitaire à retardement
Pourtant, les non-conformités listées par l’AGASA à savoir insalubrité, matériel inadapté, absence de suivi médical sont une réalité indéniable.
Livré à lui-même, sans encadrement ni moyens, ce secteur opère en marge des normes d’hygiène les plus élémentaires et transforme une solution économique en une bombe sanitaire.
Mais la fermeture systématique revient à fragiliser davantage des ménages déjà précaires et à priver des milliers de personnes d’une alimentation accessible.
Ne rien faire par contre, c’est accepter le risque d’intoxication alimentaire de masse et la propagation de maladies graves, avec un coût humain et financier potentiellement bien plus élevé pour la collectivité. Un dilemme pour l’Etat.

De la répression à l’accompagnement : la nécessaire formalisation
La réponse ne peut donc être uniquement répressive. La fermeture administrative, si elle est nécessaire en cas de danger immédiat, n’est pas une solution durable.
Elle déplace le problème sans le résoudre. La nécessité économique poussera inévitablement les vendeurs à reprendre leur activité, souvent dans des conditions encore plus occultes.
L’action de l’AGASA doit être perçue non comme une fin en soi, mais comme le point de départ d’une réflexion plus profonde.

Transformer le secteur de la restauration de rue d’un problème sanitaire en une opportunité économique et culturelle valorisée est l’un des grands défis de l’urbanisme social nationale.
Il s’agit de trouver le juste équilibre pour que la marmite qui nourrit les familles ne soit pas celle qui empoisonne la cité.